LA POESIA DI PATRICIA GUÉNOT (III/
Sur ta tombe
Je ne viens pas ce soir déverser sur ta tombe
Le flot de bile amère, au goût de désespoir,
Issu de mes soirées sur le fil du rasoir
Dans le désert hostile où, sans toi, je succombe.
Dépourvue de tes mains, mes ailes de colombe,
Je me laisse envahir par mes papillons noirs
Dont l'effrayant ballet au parfum d'encensoir
Forme un rideau obscur dont la froideur t'incombe.
J'offre mon cœur brisé à l'affreux désarroi
Que m'inspire aujourd'hui mon horizon étroit,
Tandis que je frémis dans le vieux cimetière.
Je colle mon visage au bord de ton caveau
Afin d'apercevoir ta précieuse poussière
Dont l'horrible pensée me ronge le cerveau.
Soupe du soir
Le nez collé sur son fourneau,
La femme prépare la soupe
Pendant que les enfants s'attroupent
Autour d'un jeu de meccano.
La marmite entonne un concert,
Une gaie symphonie de bulles
Dans l'avancée du crépuscule,
Au centre d'un austère hiver.
Dès que chacun s'est attablé,
Le mari à la lippe molle
Mange sans dire une parole,
Affalé devant la télé.
Dans ses horribles bruits de bouche,
On n'entend plus voler les mouches.
Orange brûlante
Sous les coups de mon vieux canif
Se déroule une fête étrange
Dans le centre de mon orange,
À l'heure de l'apéritif.
J'en extrais un jus nutritif,
Plus soyeux qu'une plume d'ange,
Nectar radieux que je mélange
Au fil de cocktails explosifs.
Sous sa peau, sa pulpe palpite
En une promesse explicite
D'offrir un en-cas savoureux.
Au cœur de sa chair succulente,
Gorgée de parfums généreux,
Jaillit une source brûlante.
Zoo alphabétique
Dans le zoo alphabétique, résident :
Un alligator monté sur ressort
Deux belettes à casquette
Trois chevaux sans cerveau
Quatre dindons sur des chardons
Cinq éléphants et leurs enfants
Six fox-terriers en gros souliers
Sept gorilles qui s'étrillent
Huit hippopotames sur un jeu de dames
Neuf inséparables cachés sous la table
Dix jaguars à l'écart
Onze koalas sous la pergola
Douze limaces qui se prélassent
Treize moineaux en kimono
Quatorze narvals qui s'ennuient au bal
Quinze okapis sur un tapis
Seize panthères à robe claire
Dix-sept quiscales dans une malle
Dix-huit renards mangeant du lard
Dix-neuf sauterelles armées de truelles
Vingt torpilles en guenilles
Vingt et un unaus fous de dominos
Vingt-deux vives qui salivent
Vingt-trois wapitis avec leurs petits
Vingt-quatre xiphophores délavés par le chlore
Vingt-cinq yaks près du lac
Vingt-six zibelines qui font la cuisine.
Abécédaire culinaire
Dans mon abécédaire culinaire, mijotent :
Une aubergine farcie de clémentines
Une banane à la frangipane
Un cassoulet de poulet
Un dindonneau aux pruneaux
Un émincé de crustacés
Un flan au vin blanc
Un gâteau de tourteau
Un homard aux épinards
Une île flottante à la menthe
Une julienne alsacienne
Un kaki riquiqui
Un lapin aux miettes de pain
Une moussaka arrosée de muscat
Un navarin au romarin
Un œuf frit à la graisse de bœuf
Un perdreau sur son lit de poireaux
Une quiche aux pois chiches
Un romsteck garni de fruits secs
Un soufflé acidulé
Un tajine de sardines
Un uru cru
Une ventrèche à l'encre de seiche
Un whisky exquis
Un ximenia flambé au ratafia
Un yak mariné au cognac
Un zeste de fantaisie digeste.
Je te dédie ces roses
Au seuil de l'abandon, je te dédie ces roses
Assemblées en bouquet aux fringantes couleurs,
Message d'espérance au parfum du bonheur
Qui reviendra fleurir dans ton âme morose.
Quand ton cœur se flétrit sous la cendre des choses,
Au lieu de t'effondrer dans un torrent de pleurs,
Laisse-toi consoler par la magie des fleurs
Dont la beauté soyeuse, à la joie, te dispose.
Pour effacer le goût de ton amour déçu,
Cueille un baiser sucré sur le tendre tissu
D'une ardente corolle à la saveur exquise.
Quand les roses fanées joncheront ton esprit,
Tu te délivreras de ma coupable emprise
En jetant notre histoire au puits de ton mépris.
Patricia Guénot